Pierre Gervasoni
Revueltas, guérillero de la nouvelle musique mexicaine
Silvestre Revueltas
La page consacrée à ce représentant de la nouvelle
musique mexicaine sur le site peermusic
Revueltas, guérillero de la nouvelle musique mexicaine
Deux disques témoignent du néoclassicisme comme du
non-conformisme de ce compositeur influencé par les
rythmes afro-cubains.
Mis à jour le vendredi 10 septembre 1999
Après être demeuré au cours de sa brève existence dans
l’ombre de Carlos Chavez (1899-1978), dont il fut
l’exact contemporain, Silvestre Revueltas (mort à
quarante et un ans des suites d’un alcoolisme aigu)
pourrait légitimement disputer post mortem à son « frère
ennemi » la place de représentant principal de la
musique mexicaine au XXe siècle. C’est en tout cas ce
que laissent entendre deux entreprises discographiques
utilement complémentaires.
Le portrait publié par Sony tend à faire de Revueltas un
musicien brillamment néoclassique, capable d’équilibrer
inspiration nationale et expression universelle. Sur un
ton léger avec Ocho por radio, octuor sibyllin dans
lequel le compositeur brasse des mélodies populaires
mexicaines avec malice et tendresse ; sur un plan
monumental avec La Noche de Los Mayas, musique de film
rapportée sous forme de suite à l’exotisme rutilant.
Les timbres aigres-doux des Dos pequeñas piezas serias
(« deux petites pièces sérieuses ») et la polytonalité
très ouvragée de l’ Homenaje a Federico Garcia Lorca («
hommage à Federico Garcia Lorca ») invitent aussi à
considérer Revueltas comme une sorte de Darius Milhaud
latino-américain. Mais pas Ventanas (« fenêtres »),
oeuvre de jeunesse qui révèle, au-delà de l’identité
mexicaine du compositeur (associant nervosité convulsive
et retenue exsangue), le type d’homme qu’il est : un
artiste prêt à s’engager. Sensemaya, la seule oeuvre qui
lui ait à ce jour procuré un semblant de postérité, se
réfère au texte d’un poète cubain dont il partagea les
idées politiques dans les années 30. Idées qui
poussèrent Revueltas à participer à la guerre civile
espagnole du côté des Brigades internationales…
Sensemaya restitue l’atmosphère d’un rituel afro-cubain
articulé autour du sacrifice d’une couleuvre. Il en
existe deux versions. L’une, originale (1937), pour
orchestre de chambre ; l’autre, habituellement exécutée
(1938), pour grande formation. L’ampleur de cette
dernière rend plus difficile la transmission des rythmes
chaloupés d’origine cubaine. Excessivement raides et peu
aidés par le tempo poussif d’Esa-Pekka Salonen, les
membres de l’Orchestre philharmonique de Los Angeles
limitent la séduction de l’oeuvre à des gerbes de
timbres étincelants. On a peine à croire qu’il s’agit de
la même musique à l’écoute de la version originale
gravée pour le label Dorian par les Mexicains de la
Camerata de las Americas ! Les notes ont exactement le
poids qu’il faut pour produire un mouvement lancinant,
irrésistible. Le magnétisme de Sensemaya opère alors à
plein.
VERVE STRAVINSKYENNE
Il en va de même du pouvoir d’attraction de Revueltas
dans presque chaque plage d’un CD qui tient bien les
promesses de son affiche : The Unknown Revueltas. Cela
tient moins à la présentation d’inédits (comme la
version originale de Sensemaya) qu’à l’édification
éloquente d’un programme à valeur de synthèse.
L’oppressant Cauhnahuac évoque Copland par son lyrisme
complexe tandis que les Escenas infantiles (« scènes
d’enfance ») distillent une verve très stravinskyenne.
Parian (« marché ») exalte la truculence mexicaine alors
que El Afilador (« le rémouleur ») dévoile le tréfonds
mélancolique du compositeur. Si les Cinq mélodies
illustrent bien le non-conformisme de Revueltas, elles
ne permettent pas de cibler son originalité, comme le
fait l’extraordinaire Troka (d’un an postérieur à
Sensemaya). On y décèle un penchant varésien pour les
cuivres graves et les percussions métalliques, un art du
télescopage des motifs digne de Charles Ives et un brio
orchestral propre aux grands Américains Bernstein et
Piston.
Les séquences éclatantes se doublent de passages
équivoques lorsqu’un piccolo trouble l’univers tempéré à
la manière des ocarinas de Ligeti (un demi-siècle plus
tard) ou quand les cordes chantent dans un orchestre
ouvert à tous vents avec l’aisance d’un violoneux coincé
dans un orphéon révolutionnaire ! Procédant par salves
toujours inattendues, Revueltas s’impose alors en
authentique guérillero de la nouvelle musique mexicaine.
Pierre Gervasoni
Sensemaya – Ocho por radio – La Noche de Los Mayas –
Homenaje a Federico Garcia Lorca – Ventanas – Dos
pequeñas piezas serias, par Los Angeles Philharmonic New
Music Group, Los Angeles Philharmonic, Esa-Pekka Salonen
(direction) : 1 CD Sony Classical SK 606 76.
The Unknown Revueltas : Troka – Cauhnahuac – Five Songs
– Escenas infantiles – Cuatro Pequeños Trozos – El
Afilador – Parian – Sensemaya (version originale pour
orchestre de chambre), par Lourdes Ambriz (soprano),
Jesus Suaste (baryton), Cuarteto Latinoamericano, Octeto
vocal Juan D. Tercero, Camerata de las Americas, Enrique
Arturo Diemecke (direction) : 1 CD Dorian DOR-90244.
Distribué par Abeille.
Le Monde daté du samedi 11 septembre 1999
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